Le manganèse, un élément clé de l'industrie sidérurgique et des nouvelles technologies

La majorité des minerais de manganèse sont destinés à l'industrie sidérurgique, où ils sont utilisés comme produits d’addition, un secteur qui représente plus de 90 % de la demande. Ces produits d’addition, comme le manganèse, jouent un rôle essentiel dans l'amélioration des propriétés des alliages, en renforçant leur dureté, leur résistance à la corrosion et leur malléabilité. L'utilisation du manganèse, principalement sous la forme d'oxyde (MnO₂) ou de sulfate (MnSO₄), a fortement progressé, notamment dans les batteries pour véhicules électriques (VE) et les systèmes de stockage d'énergie. Historiquement utilisé dans les cathodes des piles salines zinc-carbone (type Leclanché), il rentre aujourd’hui dans la composition de nombreuses technologies comme les piles alcalines zinc-dioxyde, les batteries Li-ion de type LMO (oxyde de Li-Mn) et surtout, dans les batteries Li-ion NMC (oxyde de Ni-Mn-Co). Outre la sidérurgie, le manganèse est également utilisé dans plusieurs autres secteurs industriels. En métallurgie non ferreuse, il améliore la résistance à la corrosion et à l'usure dans les alliages d'aluminium, de cuivre et de zinc. Dans la production chimique, il est utilisé pour fabriquer des produits comme le dioxyde de manganèse (MnO₂) pour les piles alcalines et comme catalyseur dans des réactions industrielles. En agriculture, il est essentiel pour la croissance des plantes et est utilisé dans les engrais pour corriger les carences en manganèse dans les sols. Dans l'industrie des céramiques et du verre, il sert à colorer les produits et agit en plus en tant que désoxygénant. Enfin, dans le secteur pharmaceutique, le manganèse est présent dans certains compléments alimentaires et médicaments en raison de son rôle dans les processus biologiques (formation des os et régulation du métabolisme).

Secteurs d'utilisation du manganèse en 2023

BRGM, d'après Eramet

Deux grands types de gisement sont exploités dans le monde

Le manganèse (de symbole chimique Mn) est un métal relativement répandu dans la croûte terrestre, avec une concentration moyenne (clarke) de 0,1 %, mais pouvant varier entre 0,05 et 0,2 % selon la nature des roches qui le contiennent. Il se classe donc au 12^ème rang des éléments les plus présents dans la croûte terrestre et se situe entre le phosphore et le fluor. Toutefois, certaines formations géologiques locales sont exceptionnellement riches en manganèse et leur altération ou lessivage par des processus physico-chimiques (pluie, chaleur, etc.) a pu donner lieu à la formation de gisements à haute teneur en manganèse.

Le manganèse n'est jamais présent à l'état natif, c’est-à-dire sous forme métallique. Il se trouve essentiellement sous la forme de minéraux oxydés, résultant de son interaction avec l'oxygène de l'air ou très rarement sous la forme de minéraux sulfurés. Dans certains cas, le manganèse est également présent sous la forme de carbonates et de silicates.

La formation des gisements de manganèse repose sur plusieurs processus géologiques et géochimiques, principalement liés à l'altération, la sédimentation, et à des réactions chimiques dans divers milieux aquatiques. Il est possible de distinguer deux types de gisements principaux : les gisements sédimentaires et les gisements associés à des processus hydrothermaux et volcaniques.

Les origines du manganèse sont diverses :

• Il peut provenir de l’altération et de l’érosion des roches terrestres dont les teneurs en manganèse sont suffisantes pour être économiquement exploitable (environ 25 %). Le manganèse est alors libéré sous forme dissoute puis transporté vers des bassins sédimentaires ou il précipite et se concentre sous forme de couches ou de nodules. Les conditions locales, telles que la stabilité chimique de l’eau, la température et la pression favorisent cette précipitation continue ;
• Il peut se former par l'altération chimique des sédiments marins, particulièrement lors des transgressions marines, un phénomène géologique où le niveau de la mer augmente et recouvre progressivement des terres autrefois émergées. Ce processus peut également se produire dans des bassins confinés où les conditions sont réductrices, c'est-à-dire un environnement avec peu d'oxygène, souvent retrouvé dans les zones marines profondes. Lorsque ces sédiments s'accumulent dans de telles conditions, le manganèse libéré peut précipiter et se concentrer sous forme d'oxydes ou d'hydroxydes de manganèse ;
• Il peut être d’origine volcanique, libéré par les processus d’éruption volcanique sous-marine ou par les eaux hydrothermales, riches en manganèse, pouvant entrainer la précipitation de cette substance ;
• Pour finir, le manganèse peut être libéré par l’action de l’eau de mer sur les laves chaudes issues d’éruptions sous-marines.

Pour qu'un gisement de manganèse atteigne une concentration économiquement rentable, trois conditions sont nécessaires : i) une sédimentation clastique en milieu réduit, ii) une préconcentration de manganèse dans des milieux euxiniques (anoxie associée à une forte concentration de sulfure d'hydrogène (H₂S) dans l'eau) et iii) l’absence de précipitation simultanée de fer. Le manganèse et le fer sont fréquemment associés dans la formation des gisements en raison de leurs caractéristiques chimiques et géochimiques similaires, ainsi que des processus géologiques qui régissent leur dépôt. En effet, ces deux éléments partagent des comportements chimiques comparables, notamment en ce qui concerne leur capacité à se concentrer et à précipiter sous certaines réactions d’oxydoréduction, ce qui conduit souvent à leur coexistence dans les gisements minéraux.

Il est important de souligner que les ressources terrestres sont géographiquement concentrées. Par exemple, seulement cinq pays – l'Afrique du Sud, l'Australie, la Chine, le Brésil et l'Ukraine – détiennent 94 % des réserves mondiales de manganèse. Toutefois, en termes de ressources, ce seraient les nodules polymétalliques des grands fonds marins qui en abriteraient les plus vastes.

Schéma de la formation d'un gisement de manganèse

Kuleshov et al., 2017

Trois pays produisent les trois quarts de la production mondiale de manganèse

En 2023, trois pays, l'Afrique du Sud, le Gabon et l'Australie, étaient à l’origine de 74 % de la production mondiale de manganèse qui s’élève à 20 millions de tonnes (en manganèse contenu). Les principaux producteurs sont les sociétés australiennes South32 et Jupiter Mines, la société française Eramet, la société sud-africaine Assmang Ldt et enfin la société chinoise TMI. Ces entreprises contrôlent un peu plus de la moitié des capacités de la production mondiale.

Parmi les principaux gisements de manganèse, plusieurs se distinguent sur le marché :

• Le gisement Kalahari Manganese Field (KMF), situé dans le bassin du Kalahari, principalement en Afrique du Sud, est l'un des plus grands gisements mondiaux de manganèse. Il abrite des dépôts associés à des formations rubanées de fer et de manganèse (Banded Iron Formations ou BIFs). Il y a actuellement 22 mines en exploitation dans ce bassin, dont les mines de Hotazel Manganese Mines (HMM) et les mines souterraines de Nchwaning et Gloria. Les mines HMM, détenues à 44,4 % par South32 et 29,6 % par Anglo American, ont produit 4,748 millions de tonnes de minerai en 2023, avec des réserves évaluées à 99 millions de tonnes pour une teneur de 39,5 % en manganèse. Les mines de Nchwaning et Gloria, exploitées par Assmang (co-entreprise entre Assore et ARM), ont produit 4,272 millions de tonnes en 2023, avec des réserves de 278 millions de tonnes et une teneur de 40,4 % d’après les chiffres de S&P Global.
• Les gisements de manganèse au Gabon sont vastes et peu profonds. La principale mine, Moanda, est exploitée à ciel ouvert par la Comilog, filiale à 63,71 % d’Eramet, dont une participation de 28,7 % de l'État gabonais. Le minerai produit à une teneur élevée de 46 % en moyenne, grâce à un processus supergène d'altération et d'oxydation des minéraux primaires en surface présents dans les schistes noirs. Ce processus d’enrichissement fait évoluer la teneur en manganèse de 15 à 46 %. La production a atteint 7,409 millions de tonnes en 2023. Les réserves sont estimées à 250 millions de tonnes. Le minerai est traité sur place avant d'être transporté en train vers le port d'Owendo, près de Libreville, pour l'exportation, principalement vers la France, les États-Unis et le Japon.
• Les gisements en Australie, sous forme de nodules et de couches riches en manganèse, sont souvent associés à des dépôts de rhodochrosite (carbonate de manganèse) et braunite (silicate). Seules les mines de Groote Eylandt et Woodie Woodie sont encore en activité. La mine de Groote Eylandt, exploitée à ciel ouvert par GEMCO (co-entreprise entre South32 à 60 % et Anglo American à 40 %), est la deuxième plus grande mine de manganèse à haute teneur au monde après Moanda. En 2023, la production a atteint 5,908 millions de tonnes, avec des réserves de 43 millions de tonnes et une teneur de 42,2 % en manganèse.

Carte représentant les producteurs miniers de manganèse en 2023

BRGM, d'après les données de World Mining Data et USGS, 2024

Le prix du manganèse en hausse suite au passage du cyclone Megan en Australie

Le prix du minerai de manganèse a atteint son plus haut niveau en quatre ans, soit 5,98 $/dmtu (dollars par tonne métrique sèche) en juin dernier en raison de perturbations sur l’approvisionnement liées au cyclone tropical Megan qui a endommagé les installations de la mine de Groote Eyland en Australie. En mars dernier, South 32, premier producteur mondial, a annoncé une suspension de ses opérations face aux dégâts causés par le cyclone. Malgré une prévision de production de 3,4 millions de tonnes pour 2024, l'entreprise a récemment déclaré vouloir prolonger l'arrêt de ses activités jusqu’au premier semestre 2025. En effet, r la réparation des infrastructures portuaires et routières nécessaires au transport du minerai vers les raffineries nécessitera plus de temps que prévu. Cet arrêt a ainsi entraîné une augmentation de près de 50 % des prix du minerai de manganèse.

Par ailleurs, le manganèse, qui entre notamment dans la fabrication des batteries lithium-ion utilisant des cathodes NMC (Nickel-Manganèse-Cobalt), a vu sa demande croître en raison de l'expansion rapide du marché des véhicules électriques et de la quête d’un substitut au cobalt, métal à la fois plus coûteux et sujet à des risques géopolitiques plus importants sur l’approvisionnement. Dans les batteries LiMnO₂, le manganèse représente environ 60 % à 70 % du poids de la cathode, tandis que dans les batteries NMC, il constitue environ 10 % à 30 % de la composition de la cathode. Afin d’être utilisé dans ces batteries, il doit être raffiné à une pureté supérieure à 99,9 %.

En 2024, la part de marché des ventes de véhicules électriques a atteint 14 %, contre environ 10 % en 2023 pour l’Union européenne. En France, cette part a progressé pour atteindre près de 12 % au printemps 2024. Cette hausse des ventes est due à plusieurs facteurs clés : i) les incitations financières, telles les primes à la conversion, ii) les politiques environnementales strictes visant à réduire les émissions de CO₂, ainsi que iii) l’interdiction des véhicules thermiques prévue pour 2035 dans certains pays. Enfin, la réduction progressive des prix des batteries et l’élargissement de l’offre des modèles de véhicules électriques, notamment dans des segments plus abordables, ont également contribué à cette croissance.

Les prix du ferromanganèse et du manganèse métal sont globalement stables sur ces dernières années, bien qu'ils aient subi des variations ponctuelles dues aux fluctuations de l'offre et de la demande. Il est intéressant de noter que, malgré les interruptions de production en Afrique du Sud, ces prix n'ont pas connu une hausse aussi marquée. Cette différence peut être expliquée par des dynamiques de marché distinctes : une offre excédentaire et des stocks suffisants ont contribué à maintenir la stabilité des prix des produits finis. Les prix du manganèse métal ont enregistré une légère hausse au second trimestre 2024 par rapport au trimestre précédent, se stabilisant autour de 2 000 US$ par tonne.

Toutefois, la production globale d’acier devrait très légèrement diminuer en 2024 en raison du ralentissement prolongé dans le secteur immobilier, particulièrement en Chine, principal consommateur d'acier. Depuis la crise immobilière de 2022, ce marché peine à se redresser, ce qui impacte directement la demande d'acier. Selon l’association Worldsteel, la production d'acier brut est restée stable, avec 1 892 millions de tonnes produites en 2023, contre 1 890 millions de tonnes en 2022. Cette stabilité a été soutenue par des secteurs consommateurs d'acier comme l'automobile, qui ont compensé les difficultés rencontrées par le secteur immobilier. Le gouvernement chinois a aussi voté des plans de relance pour stimuler la construction et les investissements dans les infrastructures, contribuant ainsi à cette stabilité. En 2023, la Chine a compté pour 55 % de la production mondiale d'acier. De plus, les exportations d'acier ont enregistré une hausse de 36 % par rapport à l'année précédente, soutenues par une stratégie de prix compétitifs et la dépréciation de la monnaie chinoise. De même, en Europe, le secteur de la construction, qui représente environ 35 % de la consommation d'acier, est en récession et cette tendance devrait se poursuivre l'année prochaine.

La forte baisse de la production d'acier au carbone en Chine pendant l’été 2024 a entraîné une diminution significative des achats de minerai de manganèse par les producteurs chinois d’alliages. Parallèlement, l’offre de minerai à faible teneur, principalement en provenance d’Afrique du Sud, a augmenté, soutenue par une hausse temporaire des prix avant l'été. Cette situation a créé un déséquilibre sur le marché, impactant négativement les ventes de minerai à haute teneur, comme celui produit à Moanda, au Gabon. L'indice des prix du marché (CIF Chine 44 %) est désormais tombé à environ 4 $/dmtu. Face à cette situation, Eramet a pris la décision de suspendre la production de minerai dans ses mines de Moanda pendant au moins trois semaines, tout en maintenant les ventes et expéditions durant cette période. La durée de cet arrêt sera ajustée en fonction de l’évolution du marché. L’objectif de production et de transport de minerai pour 2024 a donc été révisé et se situe désormais entre 6,5 et 7,0 millions de tonnes, contre une estimation précédente de 7,0 à 7,5 millions de tonnes.

Prix du manganèse et du ferro-manganèse livrés en Europe

BRGM, d'après les données d'Argus Media, 2024

Le manganèse, un élément clé pour la sidérurgie et les batteries lithium-ion

En résumé, le manganèse est un élément clé pour l’industrie sidérurgique et de plus en plus essentiel dans le développement des technologies modernes, en particulier pour les batteries lithium-ion qui sont utilisées dans les véhicules électriques. Cette demande croissante entraîne des tensions sur les marchés mondiaux, d’autant plus que les principaux producteurs, tels que l’Afrique du Sud, le Gabon et l’Australie, sont confrontés à des défis logistiques et des variations de la rentabilité de leurs gisements. Les perturbations récentes dans la production et l'approvisionnement, comme celles rencontrées par les entreprises Eramet et South32, mettent en lumière les vulnérabilités du secteur.

Autrice

Victoire Collignon, BRGM

Lexique 

Potentiel d’oxydoréduction : Le potentiel redox, ou potentiel d'oxydoréduction, est une mesure de la tendance d'une substance à gagner ou perdre des électrons lors d'une réaction chimique.

Euxinique : Un milieu euxinique est un environnement aquatique caractérisé par l'absence d'oxygène dans l'eau, ce qui crée des conditions anoxiques. Dans ces milieux, du sulfure d'hydrogène (H₂S) s'accumule et permet la précipitation de minéraux sulfurés. On les trouve souvent dans des bassins marins profonds ou des lacs fermés dans lesquels la circulation de l'eau est limitée.

Bibliographie

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Kuleshov, V. &. (2017). Genetic types, classifications and models of manganese ore formation. The origin and formation of manganèse rocks and ores, pp. 63-352.

Manganèse. (s.d.). Récupéré sur Eramet: https://www.eramet.com/fr/activites/manganese/

Manganèse : la production en baisse de 23,9% au 1er trimestre 2024. (2024). Récupéré sur Gabonactu.com.

Nicolas J Beukes, E. P. (2006). Manganese Deposits of Africa.

South32 withdraws Australian manganese output forecast as cyclone shuts major mine. (2024). Mining.com.

Tadjon, C. (2024). Le prix du manganèse atteint son plus haut niveau en quatre ans 8,30 dollars USD par tonne métrique. Invest-time.

Tang, L. (2024). South32's manganese mine suspension fails to boost prices. S&P Capital IQ.